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Israel-Palestine : le petit monde des journalistes

posté le 10/04/18 par Hélène Servel - (Le Monde diplomatique, février 2018) Mots-clés  médias 

De nombreux journalistes français sont présents en Israël ou dans les territoires palestiniens. Couvrant un conflit parmi les plus médiatisés, ils bénéficient d’une visibilité plus importante, même s’ils n’échappent pas à l’habituelle ligne de séparation entre salariés à temps plein et pigistes. Les rédactions sont quant à elles de plus en plus réservées vis-à-vis d’une situation qu’elles jugent trop figée.

Sur les quelque quatre cents journalistes étrangers présents en Israël et dans les territoires palestiniens, ils sont une vingtaine de représentants des médias français. Si ce chiffre fait de Jérusalem l’une des capitales les plus peuplées de journalistes au monde, les principaux concernés font à peu près le même constat : le statu quo qui caractérise sur place la question palestinienne semble lasser les rédactions de l’Hexagone. « Rien ne change ! », regrette Camille T. (1), correspondante d’une agence d’information. « Parfois, il me suffit de modifier seulement la date, le lieu et le nom de la personne de dépêches publiées il y a vingt ans pour évoquer des attaques de l’armée israélienne en Cisjordanie ! ». Marc L., correspondant pour une télévision française opine : « Une chaîne comme celle pour laquelle je travaille doit faire une audience maximale. Elle ne peut diffuser un sujet magazine sur une situation qui n’évolue guère. Dans le salmigondis journalistique des rédacteurs en chef [à Paris], ils vont me dire : “Qu’est-ce qui a changé ? Rien ? Donc ça ne m’intéresse pas !” »

Malgré cela, travailler en Israël ou en Palestine demeure une situation convoitée par des journalistes qui viennent s’y faire un nom, loin de l’anonymat auquel ils peuvent être confrontés en France. Cette « zone de conflit » confère ainsi une aura particulière. Si tant de journalistes continuent à s’y installer, c’est aussi parce que cela peut leur permettre de grimper les échelons de leur hiérarchie une fois de retour chez eux.

Pourtant, le quotidien de ces professionnels de l’information semble globalement bien loin de celui de d’un reporter de guerre envoyé sur d’autres théâtres de conflit. « À part les guerres de Gaza, qui furent des épisodes traumatisants pour nombre de journalistes [français], la zone est plutôt “tranquille”. Ce n’est pas une zone de guerre, et les journalistes qui convoitent un poste de correspondant ici le savent très bien », témoigne Jeanne D., une pigiste installée à Jérusalem-Ouest.

Sur le plan des moyens, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Les correspondants employés à temps plein par une rédaction française — grands quotidiens, magazines, radios ou télévisions — peuvent compter non seulement sur un salaire mensuel fixe élevé mais aussi sur une prise en charge de leurs frais de reportage. Les pigistes, quant à eux, doivent composer avec des revenus souvent faibles, qui limitent à la fois leur champ d’action et leur train de vie. De plus, rien ne dit que les portes s’ouvriront pour eux à leur retour. Même après avoir travaillé parfois pendant plusieurs années dans la région, la plupart se remettent à chercher du travail en France, sans que leur expérience israélo-palestinienne représente vraiment un atout professionnel.


Lieu de vie et perception du conflit

Plus jeunes que la majorité des journalistes, et essentiellement des femmes, les pigistes témoignent d’une division du travail fondée sur le genre mais aussi sur la localisation géographique. Ceux qui sont installés dans les territoires se sentent souvent jaugés de manière défavorable par leurs collègues de Jérusalem. « Souvent, les journalistes de Jérusalem considèrent que les correspondants installés à Ramallah sont moins légitimes, moins sérieux, moins prestigieux », confie Julie N., pigiste pour un quotidien national français et installée à Ramallah depuis deux ans. Pourtant, les journalistes qui vivent dans cette ville revendiquent une meilleure connaissance de la situation du fait d’une confrontation quotidienne à l’occupation, contrairement à la plupart des correspondants salariés, souvent basés à Jérusalem-Ouest. Et travailler à partir des territoires n’est pas chose simple. Pour obtenir une carte de presse israélienne, il faut pouvoir justifier d’un domicile en Israël. Les pigistes qui vivent dans les territoires palestiniens, par exemple à Ramallah, sont donc obligés de falsifier les documents nécessaires pour obtenir leur visa de travail avec l’accord de l’une des rédactions à laquelle ils collaborent.

  • Travailler en Israël ou en Palestine demeure une situation convoitée par des journalistes qui viennent y glaner une aura particulière

Le lieu de vie conditionne d’ailleurs la perception du conflit. Si tous les journalistes installés sur place revendiquent une certaine « neutralité » et une certaine « objectivité », la vie quotidienne met parfois à mal ces impératifs. « Je ne suis ni palestinienne, ni israélienne, ni musulmane, ni juive : ce n’est pas mon conflit », racontait Romane S., pigiste, à son arrivée à Ramallah. Mais après deux ans passés dans cette ville, sa perception a changé. Certes, elle ne veut toujours pas prendre position mais elle a désormais des amis sur place et baigne au quotidien dans le mode de vie et les discours palestiniens.

Durant leur séjour, les journalistes français, quel que soit leur statut, se trouvent au centre d’une constellation d’expatriés avec lesquels ils partagent besoins, réseaux et intérêts divers. Confrères mais aussi diplomates, travailleurs humanitaires ou encore chercheurs constituent un cercle plus ou moins large qui modifie la perception de la situation. C’est d’ailleurs souvent dans ces réseaux de connaissances que l’information circule et se transmet. « Quand la famille d’un journaliste et celle d’un conseiller politique du consulat de France à Jérusalem vont ensemble à la plage, le dimanche à Tel-Aviv, cela influe forcément sur la manière dont on appréhende le conflit », résume Thomas D., en poste dans la région depuis plusieurs années.

Même s’ils critiquent parfois le microcosme, la plupart des journalistes concèdent qu’il est très pratique pour accéder à des informations dans un environnement linguistique qui n’est pas toujours évident. À part quelques binationaux franco-israéliens parfaitement hébréophones, la plupart des journalistes français ne parlent pas l’hébreu et encore moins l’arabe. Certains reprochent à leurs rédactions le manque de moyens alloués pour qu’ils puissent se former aux langues locales, quand d’autres jugent qu’il suffit de s’appuyer sur toute une série d’intermédiaires se chargeant de traduire, de guider ou de trouver des contacts. Fixeurs, services de communication, centres de presse réservés aux journalistes étrangers… : c’est une véritable économie qui se crée autour de la presse étrangère.


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