Par Ngô Van (juillet 1967)
Que signifie, pour les ouvriers et les paysans, la « libération nationale » ?
Les puissances impérialistes parlent du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », et cette expression est reprise par les partis tendant au pouvoir dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Nous proposons de bannir le mot « peuple » de notre langage ; il met les classes exploiteuses et dominantes sur le même pied d’égalité de droit que les masses exploitées. Qui dispose de qui dans les nouveaux États nationaux « paysans » ? L’indépendance nationale apporte le pouvoir, dans les pays d’orbite occidental, à la bourgeoisie indigène, qui dispose de l’exploitation du prolétariat et aux propriétaires fonciers, qui disposent de celle des paysans ; dans les pays du bloc dit communiste, la bureaucratie du capitalisme d’État dispose à la fois du prolétariat et des paysans. Pour les ouvriers et les paysans, la libération nationale n’est qu’un changement de maîtres .
La réforme agraire libère-t-elle les exploités de la terre ?
Inutile de dire que dans les pays où l’impérialisme a cédé le pouvoir à la bourgeoisie indigène, comme dans l’Inde, le paysan vit au bord de la famine ou meurt de faim, sous la coupe des propriétaires fonciers rapaces. Dans les pays où les soulèvements généralisés de paysans ont porté au pouvoir les partis communistes, se sont formés des États bureaucratico-militaires qui ont institué pour leur propre compte la réforme agraire, c’est-à-dire aboli la propriété foncière et fait disparaître la classe des propriétaires fonciers, distribué la terre aux paysans, s’assurant ainsi leur soutien dans la première phase de leur pouvoir ; mais une fois le capitalisme d’État instauré, le surtravail du paysan constitue la base de l’accumulation primitive pour l’industrialisation.
La guerre permanente, un des aspects de la crise permanente de la société capitaliste mondiale actuelle.
Nous vivons dans une époque de guerre permanente ; les puissances s’affrontent, soit directement, soit par l’intermédiaire des États sous leur dépendance et, comme par le passé, chacun rejette sur l’autre la responsabilité.
Dans un pays ou dans un autre, les victimes sont toujours les ouvriers et les paysans. « Un peuple qui en opprime un autre est lui-même opprimé. » Nous n’avons pas de patrie à défendre, même si cette patrie est « communiste ». La lutte pour l’auto-émancipation, c’est, pour tout exploité, le devoir de lutter contre son propre exploiteur, la guerre n’étant que la forme extrême de cette exploitation. La paix ou la guerre que nos maîtres préconisent, que ces maîtres soient des bourgeois, des propriétaires fonciers, des généraux ou des bureaucrates « communistes », n’est pas notre affaire. Ni la défense du « monde libre » ni la défense des gouvernements « ouvriers et paysans » ne nous concerne. Dans n’importe quel coin de la terre, nous luttons directement contre ceux qui nous envoient à la boucherie en refusant de fabriquer et de porter les armes ; et cette lutte fait partie intégrante de notre lutte pour l’auto-émancipation, au-delà de toutes les frontières.
Ngô Van, juillet 1967,
Titre original : « Sur la réforme agraire », in Cahier de discussion pour le Socialisme des conseils, n° 8 avril 1968.