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Punk’s not…

posté le 18/10/18 par https://parolealvento.noblogs.org/punks-not/ Mots-clés  réflexion / analyse 

Article tiré du premier numéro de l’apériodique anarchiste Machete https://parolealvento.noblogs.org/files/2018/06/machete1.pdf

Oui, je sais. Jamais rien ni personne n’a pu empêcher les rebelles de vingt ans, pleins de rage, de devenir des entrepreneurs quarantenaire plein de bon sens. Tant d’années ont passé, mais j’ai encore devant les yeux les vieux soixante-huitards qui nous regardaient avec compassion du haut de leurs sièges ou de leurs tribunes. J’ai encore leurs paroles pleines de sarcasme dans les oreilles : » Nous avons fait la révolution, mais vous ? Que pensez-vous pouvoir faire ? Vous êtes destinés à revenir à la normale, beaucoup plus tôt et bien pire que nous. « Fortifiés par la conscience que rien ne pourrait jamais nous faire baisser la tête, que leur échec n’était pas notre destin, c’était amusant d’envoyer se faire voir ces ordures en chemise blanche. Mais au fond de nous nous savions que cette détermination pour beaucoup d’entre nous – mais pour qui ? – ce serait révélée n’être qu’une illusion.

Je le sais, c’est pour ça que je me dis que ça ne vaut pas la peine de s’offenser même si le moment est venu pour le punk d’un intéressé revival, les albums de famille à vendre, les concerts commémoratifs à organiser, les vieux disques à ressortir, les expositions rétrospectives à exhiber. Après tout, pourquoi pas, n’a pas toujours été ainsi ? Une période de plus de vingt ans est plus que suffisante pour se débarrasser de ses anciennes furies, pour refaire la garde-robe, pour exercer une place adéquate dans la société. Les idées d’hier peuvent aussi être évoquées, avec joie, après les avoir remplacés par les tapes sur les épaules d’ajourd’hui. Deux générations nous séparent du début des années 80, des années où nous nous sommes sentis esclaves dans les villes les plus libres du monde , et aux yeux de certains, cette distance est la bonne pour pouvoir faire les comptes – même économiquement parlant – avec son propre passé.

Il suffit d’entrer dans une librairie et de jeter un coup d’œil sur les publications qui s’accumulent autour du sujet depuis plusieurs mois. On me dit que ces livres rencontrent un certain intérêt. A moi, ces livres me donnent la nausée. Surtout si les noms de leurs auteurs réveillent de vieux souvenirs, rouvrent de vieilles blessures, ne m’étant pas complètement étrangères. Ils sont la preuve la plus atroce de la capitulation des rêves et des désirs qui ont inspiré de nombreux punks. Au-delà de la curiosité justifiée que ces livres suscitent chez ceux qui n’ont pas vécu directement cette période, il me semble évident que cette frénésie de se rappeler comment nous étions naisse de l’observation de ce que nous ne sommes plus. Ce n’est que grâce à cet oubli de ce que nous avons été, à la suppression de ce pour quoi nous nous sommes battus, que le punk peut devenir un chapitre fermé a consigner dans les livres d’histoire. Aussi évident que soit ce phénomène, il n’en reste pas moins que ce passé, pour certains si éteint et si lointain, brûle pour quelqu’un d’autre comme si c’était hier.

Fastidieuse poussière

Nous étions poussière, poussière dans les yeux de ceux qui nous regardaient. Nous ne cherchions pas de consensus, nous ne voulions pas comprendre, nous ne voulions pas de reconnaissance. En fait, nous avons fait de notre mieux pour déranger tout le monde. Presque tout le monde fronçait du nez devant notre besoin de bouleverser, prenant pour un délire protagoniste (mais ça l’était vraiment ? quelle illusion !) cette obsession de brûler les ponts derrière nous pour être sûr de ne pas pouvoir revenir en arrière. Un petit journaliste de province nous a appelés les nouveaux barbares, tandis qu’un journaliste métropolitain pas encore très bon nous accusait de traîner avec un rat d’égout sur son dos à la recherche d’une cible. Amusant ou irritant, le mépris des braves gens nous rassurait et nous le préférions soit à une approbation que nous aurions troqué pour un humiliant partage d’intention, soit à une indifférence qui aurait indiqué chez nous une embarrassante inoffensivité. Et puis, je l’admets, ce mépris était réciproque. Nous ne pouvions pas être complaisants avec ceux qui semblaient plus que résignés à mourir démocrate-chrétien.

Anarchistes ? Oui, anarchistes ! Mais l’anarchie était plus dans nos cœurs que dans nos têtes. Ce n’était pas celle de Bakounine ou de Malatesta, ce n’était pas l’adhésion à un projet insurrectionnel ou à un programme social. Nous ne croyions pas en l’avenir radieux et nous faisions que rire, rire, rire aux éclats des militants révolutionnaires à barbe blanche, qui nous invitaient à critiquer « l’épistémologie de la domination » du point de vue libertaire ou qui nous exhortaient à arrêter « l’impérialisme de la bourgeoisie » suivant la stratégie marxiste-léniniste. Nous aussi, comme d’autres avant nous, pensions que les gens sérieux sentaient la charogne et suivions notre inclination au plaisir, partout où cela pouvait nous mener, sans nous préoccuper de Dieu ou de la société, n’écoutant que notre agitation, nous-mêmes, la transformation qui s’effectuait en nous. Le rejet de ce monde n’est pas né du fonctionnement de nos cerveaux, mais du bouillonnement de nos viscères devant l’horreur du présent, devant cette répétition en série d’une existence dépourvue de sens, de beauté, d’autonomie, à consacrer entre les cahiers de l’école et pratiques de bureau, des causeries de café et des ventilateurs de stade, tous entrecoupés de pauses dans les discothèques et sous des parasolss ; une existence misérable consacrée à la carrière, à la famille, à la retraite. Nous avons regardé les adultes, en commençant par nos parents, et nous savions seulement ce que nous ne voulions pas – jamais, jamais être comme eux !

Avec un bagage aussi léger, on ne pouvait pas aller loin, nous dira-on. Et ça va, inutile de le cacher : nous n’avions pas de conscience de classe, nous ne ressentions aucune solidarité envers ceux qui comme nous subissait l’existant, nous nous foutions de la restructuration des processus de production en cours, nous savions à peine qui étaient Makhno et Durruti (mais vous-aussi Messieurs les anarchistes, vous n’avez pas fait grand-chose pour attiser notre curiosité à leur égard, ne sachant que nous étaler sous les yeux des poupées momifiées), nos connaissances théoriques flottaient dans une mer de superficialité et d’ignorance. Mais une qualité, au moins une, nous l’avions : nous étions pleins de colère, d’une colère qui dépassait toute prudence politique et émiettait toute museaulière.

Nous n’avons pas essayé de construire quelque chose, parce que nous voulions tout détruire. Dépoussiérant la vieille arme du scandale, nous aimions nous présenter aux cérémonies publiques pour monter sur les tables et mettre les pieds dans le plat. Les militants sérieux et ennuyeux secouaient la tête, ils ne comprenaient pas pourquoi nous voulions être des spoilers et non des chefsdupeuple, car nous cherchions les insultes qui divisent et non les applaudissements qui unissent. Ils nous ont reproché de ne pas « défendre et diffuser » nos idées si nous voulions conquérir les masses ; mais il nous suffisait de trouver quelques complices pour nous amuser. Dans tout ce que nous avons fait, nous avons plus cherché à exprimer notre individualité qu’à convaincre la communauté.

La colère, la nôtre, qui n’a jamais réussi à mettre le feu aux villes. En général, l’idéologie de la non-violence exerçait trop d’influence sur le punk, dont le symbole était le A encerclé qui casse la mitraillette (« la liberté n’a aucune valeur si le prix à payer est la violence / je ne veux pas de révolution : Je veux de l’anarchie et de la paix » chantent hélas les tant aimé Crass). Et peut-être aussi le désir de se différencier de la génération 77 a contribué à aller dans ce sens. L’assaut sur le ciel mené par nos « frères aînés » avait beaucoup d’aspects joyeux, même armés, mais nous les ignorions majoritairement. Ainsi, ne voulant pas non plus vivre pour une Réaction bourgeoise que l’on haïssait, ni mourir pour une Révolution prolétarienne que l’on n’aimait pas, le punk exprimait autrement son mal de vivre ; par le non-conformisme absolu, la désertion des rôles sociaux imposés. Si vous ne voulez pas arriver (au succès, à la renommée, au pouvoir), il suffit de ne pas commençer. S’accrochant à cette hypothèse, le punk a mis en œuvre sa ligne d’action : une non-collaboration scrupuleuse sur tous les fronts. Dedans, l’hypothèse de prêter main forte à quelque entité, organisation associative, commerciale, institutionnelle ou pro-institutionnelle n’a même pas été prise en compte, sous peine d’être marquée par le mépris. C’était la vieille conception du lien indissoluble qui existe entre les moyens et les fins, entre la théorie et la pratique. On ne peut pas bouleverser le monde et en même temps le servir. Très peu d’entre nous étaient conscients que cette conception éthique avait distingué les précurseurs – anarchistes, surréalistes, situationnistes. Plus simplement, il nous suffisait de savoir que « qui baise une religieuse, rejoint ensuite l’Église » (Clash).

Avec le recul, il semble presque trivial de reconnaître combien notre désintérêt général envers qui et ce qui nous avait précédé sur le chemin de la révolte nous a affaiblis, nous faisant tomber dans des erreurs et des pièges qui auraient été faciles à éviter autrement. Mais personne ne connaissait l’histoire de l’avant-garde historique, instructive à bien des points de vue. Et puis – bon sang ! – personne, personne, personne qui ne nous ait fait découvrir que le mouvement anarchiste ne se targue non seulement d’une tradition de philosophes, sociologues, économistes et héros inaccessibles, mais aussi de voyous romantiques et de farces agressives (seul Albert Libertad a échappé à la purge historiographie mise en œuvre par la respectabilité anarchiste). L’exemple de tous ces « en-dehors » libertaires nous aurait peut-être stimulé, encouragé et aidé. En nous reconnaissant dans leurs désirs et leurs émotions, nous aurions été plus disposés à écouter leurs paroles. Écartant dès le départ ceux qui préféraient proposer des maîtres qui étaient des spécialistes des sciences sociales présentables, il n’est pas surprenant qe du haut de nos vingt ans, l’ancre de l’expérience ne soit vue que comme une balle au pied.

Le fait est que, en quelques années, cette rage punk qui semblait inextricable s’est consumée avec l’éthique qui l’accompagnait. À de rares exceptions près, le destin tant prédit aux punks ne s’est pas réalisé : ni les anarchistes luttant contre l’État ni les sans-abri en marge de la société. En échange, le goût de la rupture et le look iconoclaste sont revélés être une découverte auto-promotionnelle, utile pour attirer l’attention afin d’aller taper la caisse à une industrie du disque ou de l’édition à défaut d’originalité. Et aujourd’hui, ceux qui sont ont quitté le punk pour entrer sur le marché invitent tout le monde à refaire un groupe et voudraient en exploiter la mémoire.

[…]

La suite (en Italien) ici, spécifiquement sur l’évolution de certains groupes https://parolealvento.noblogs.org/punks-not/


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