Procès Tarnac : la décision

Mardi 13 mars s’ouvre le procès des inculpés dits « de Tarnac » au terme d’une procédure judiciaire de dix ans. Il y sera longuement question des preuves matérielles devant avérer que ces hommes et femmes se sont rendus coupables d’association de malfaiteurs et d’actes de sabotage, de la biographie des inculpés, de leurs convictions politiques, de leur implication dans l’internationalisme communiste et anarchiste, de leur dangerosité idéologique, de leur détermination à mener une existence conforme à leurs idées, etc., mais aussi d’un procès-verbal truffé d’inexactitudes et d’extravagances, d’un faux témoignage avéré et pourtant maintenu contre vents et marées comme élément à charge, et de bien d’autres zones d’ombre, incohérences ou mascarades d’une police anti-terroriste manifestement malhabile, soit par incompétence, soit par manque de conviction.

L’accusation, on le devine aisément, tirera sa force du refus des inculpés de clamer leur innocence, ainsi que de leur « profil psychologique » et des écrits insurrectionnels qu’on leur attribue ; la défense, elle, s’efforcera vraisemblablement de mettre en évidence l’inconsistance des preuves matérielles. On se perdra de la sorte, lentement mais sûrement, dans les détails. C’est pourquoi, de cette « affaire Tarnac », je propose de résumer l’essentiel en trois points :

1. Le sommet de Vichy. Les 3 et 4 novembre 2008, soit quelques jours avant l’arrestation par la police anti-terroriste du groupe dit « de Tarnac » (le 11 novembre), une rencontre au sommet est organisée à l’initiative de la France qui préside alors l’Union européenne, et plus précisément à l’initiative de son ministre de l’Identité nationale Brice Hortefeux, lequel avait eu l’idée saugrenue de réunir à Vichy les ministres de l’intérieur et de la justice des Etats de l’Union européenne afin d’y débattre de l’immigration légale et illégale. Présents sur les lieux, Julien Coupat et ses amis participent activement à la contre-manifestation - « émaillée de violences » - qui visait à dénoncer le sommet et sinon à l’empêcher, lui faire obstacle. J’ignore ce que Brice Hortefeux avait à l’esprit en choisissant d’organiser un sommet des ministres européens de la police à Vichy, mais je sais ce que les contre-manifestants, eux, avaient en mémoire.

2. La signification des sabotages. Trois jours après le sommet de Vichy, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, des actes de sabotages sont perpétrés sur des lignes SNCF. Qui sont les auteurs ? C’est la question qui occupe la police, la Justice et les médias. En revanche, police, Justice et médias paraissent beaucoup moins préoccupés de savoir pourquoi des lignes de chemin de fer ont été sabotées de manière à obstruer la circulation des trains dans le nord-est de la région parisienne. Le mot « terrorisme », apparemment, suffit, à quoi l’on associe parfois une phrase extraite de l’opus du comité invisible (L’insurrection qui vient) concernant le blocage des voies de communication dans un contexte insurrectionnel. Nulle insurrection n’ayant été constatée au matin du 8 novembre 2008, il s’agissait donc d’une répétition générale en vue du « grand soir », a conclu la police anti-terroriste. Il est pourtant établi depuis novembre 2008 que ces actes de sabotage ont été revendiqué et que leur mode opératoire – celui des « crochets » - est connu : ils sont l’œuvre de militants écologistes allemands qui dénoncent le traitement selon eux irresponsable des déchets nucléaires (transportés notamment par voies ferroviaires). J’ignore si les inculpés « de Tarnac » sont liés aux militants écologistes allemands, mais ce que je sais, c’est que ce ne sont pas les militants écologistes qui menacent la sécurité des personnes en France, c’est la politique du tout nucléaire, l’ancienneté des usines et l’ultra dangerosité de déchets radioactifs que nous laissons en souvenir aux générations de demain, et aux yeux desquelles, soyez-en sûrs, nous paraîtrons sinon terroristes, du moins irresponsables.

3. La réalité de la pulsion terroriste en France. Depuis les assassinats perpétrés à Toulouse en mars 2012, à Paris en janvier et novembre 2015, à Nice en juillet 2016, est tragiquement avérée l’existence d’une pulsion terroriste menaçant la sécurité des personnes sur le sol français, et conséquemment la nécessité d’une police anti-terroriste, mais à condition, bien entendu, que cette police ait pour vocation de servir les habitants et non l’agenda politique d’un pouvoir cynique (1), irresponsable (2) et hors-sujet (3).

Une fois instruit de l’essentiel, il revient à chacun de prendre la mesure de la pitrerie anti-terroriste organisée à Tarnac le 11 novembre 2008 et de décider, en son âme et conscience, qui, des autorités qui nous gouvernent ou des inculpés, devraient normalement prendre place, ce mardi 13 mars 2018, dans le box des accusés, au chef d’association de malfaiteurs et d’actes de sabotage en bande organisée.

Gageons que de nombreux citoyens français, prenant la mesure des choses et décidant, en leur âme et conscience, de l’innocence et de la culpabilité, du vrai et du faux, auront partagé, ce faisant, l’intime conviction du groupe Tiqqun, et épousé l’internationalisme de la forme humaine.


publié le 13 mars 2018