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Être hors cases en France

posté le 31/08/21 Mots-clés  solidarité  antiracisme  LGBTQI+ 

Arabe, immigré, handicapé, transgenre non-binaire. Mon cas est « trop compliqué », ont déclaré les services sociaux français. Je ne peux pas avoir de soutien pour assurer mes besoins de base car je coche toutes les « mauvaises cases » ou, à l’inverse, je ne coche aucune des « bonnes cases ».

Il y a trois ans de cela, l’étudiant en graphisme que j’étais est arrivé en France pour poursuivre un Master en Transmédia, espérant en faire un projet de doctorat et, un jour, enseigner à l’université. J’étais loin de me douter que je n’étudierai pas ni ne travaillerai. Cela ne sera même pas la partie la plus difficile de mon parcours.

En tant qu’africain ayant subi des traumatismes à répétition dans mon pays de naissance, je pensais que la France serait cette terre protectrice où la sécurité, du moins (sans parler de la devise nationale « liberté, égalité, fraternité »), serait assurée par les travailleurs sociaux pour tou.s.tes, français.e.s ou étranger.e.s. Je pensais que j’étais préparé, grâce mon éducation à la française, à faire face au racisme. Misogynie, LGBT+phobie ? Ça ne peut pas être pire. Au lycée, j’ai étudié brièvement les lois françaises et j’étais conscient, dans une certaine mesure, de mes droits (des libertés dont je ne pouvais même pas rêver dans mon pays) mais la réalité de la vie quotidienne en France est bien plus cruelle que ce que les médias montraient à l’époque. Surtout si vous n’êtes pas un homme cisgenre hétérosexuel blanc en bonne santé.

Peu de temps après mon arrivée dans la mauvaise filière et le mauvais niveau d’une école d’arts techniques située en pleine campagne (merci Parrain, vous m’avez bien conseillé), j’ai découvert que j’avais une infection avancée. L’hôpital de Nulle-Part m’a dit d’attendre car je n’avais pas de numéro de sécurité sociale. Quand j’en ai demandé un aux services sociaux de la ville, ils m’ont répondu : « on ne sait pas en octroyer aux étrangers ». Le lendemain, je suis parti pour Paris. Ma relation chaotique avec mon copain de l’époque, bipolaire, violent et atteint de la maladie de Crohn m’a ouvert les yeux sur le handicap mais ne m’a pas préparé à ma maladie chronique. Quelques mois plus tard, après avoir été jeté à la rue, ruiné et quasiment détruit, j’ai trouvé en urgence, via une connaissance, un foyer d’étudiants et de jeunes travailleurs : j’ai pu enfin m’installer à Paris.

Après de multiples hospitalisations, le premier diagnostic est arrivé : une fibromyalgie sévère. De toutes les personnes touchées, 80% sont des personnes assignées femmes à la naissance. Cette condition concerne Lady Gaga (épaulée par une armada de médecins pour chaque tournée, qu’elle annule souvent pour raison de santé, comme le montre le documentaire “Gaga : Five Foot Two”) et Morgan Freeman (qui cultive un champ de cannabis dans son Mississippi natal), cette maladie reconnue par l’OMS depuis 1992 se caractérise par, entre 100 autres symptômes dont cognitifs, des douleurs chroniques d’une intensité parfois comparable à celles que peut ressentir une personne atteinte de VIH en stade terminal. Je n’étais même pas conscient que j’ai toujours été malade. Toute ma vie, famille et médecins m’ont constamment répété : « c’est dans ta tête ». J’avais intériorisé ça au point de nier mes souffrances physiques qui pourtant impactent chaque aspect de ma vie depuis ma tendre enfance. J’ai essayé de me battre contre mes maux et après avoir échoué à poursuivre une prépa, je me suis tourné vers une formation de yoga pour ralentir ma maladie et, d’une pierre deux coups, en vivre. Mais j’ai dû laisser tomber : en plein Programme de Formation des Enseignants de Yoga à l’Ashram Sivananda, mon corps m’a fait défaut. Des bleus sont apparus sans raison apparente et une fatigue extrême m’a assommé jusqu’à l’endormissement en plein asana. Sur 4 semaines, j’ai tenu 2 avec des arrêts de plusieurs jours avant de quitter précipitamment pour rejoindre les urgences. Depuis, je loue un fauteuil roulant.

Être en situation de handicap en temps de COVID

Ensuite, la crise du COVID-19 a bouleversé le monde. J’ai contacté plusieurs services sociaux et demandé de l’aide mais mon « cas est trop compliqué ». J’ai dû attendre une année entière avant d’obtenir à nouveau un rendez-vous à l’hôpital. Souffrant déjà d’un cancer du col de l’utérus que je n’ai pas pu suivre régulièrement à cause de la pandémie et de mes handicaps qui font de tout déplacement un enfer, on m’annonce un nouveau diagnostic le jour de mon anniversaire : fibromyalgie sévère mais aussi Encéphalomyélite Myalgique, dite anciennement Syndrome de Fatigue Chronique (EM/SFC). Millions Missing France (seule association sur le territoire dédiée à la maladie et affiliée à #MEAction Network, une des premières associations au monde à démontrer le lien de l’EM/SFC avec le COVID-19) la définit ainsi :

L’encéphalomyélite myalgique (EM) est une maladie systémique invalidante, reconnue par l’OMS depuis 1969. Elle figure dans la classification actuelle de l’OMS sous le code G93-3 (CIM 10). Elle apparaît souvent brutalement, notamment suite à une infection (mononucléose – virus d’Epstein-Barr, grippe, virus de l’herpès humain (HHV6), cytomégalovirus, parvovirose, infection par Giardia, Shigella etc.), mais elle peut aussi se développer progressivement.

En France, l’EM n’est pas reconnue par les autorités sanitaires. Il n’y a pas de formation médicale. Les malades attendent souvent plusieurs années avant d’avoir un diagnostic. Cette errance médicale aggrave leur état par excès de stress et absence de prise en charge adaptée. Il est difficile d’avoir une ALD ou une reconnaissance MDPH : à la maladie s’ajoute souvent la précarité financière.

La méconnaissance de la maladie crée un climat d’incompréhension, voire de discrimination et de maltraitance : les malades se retrouvent trop souvent isolés, sans aucun soutien du corps médical ou de leurs proches.

J’ai la chance d’être soutenu par mon époux compréhensif, devenu par la force des choses mon aide-soignant. Malgré cela, la seule « solution » que les médecins du public s’obstinent à me conseiller (malgré des mises en garde de plusieurs chercheurs à travers le monde) est de « faire de l’exercice quand-même ». C’est ce qu’on a aussi dit à Roses Okhipo, afro-américaine qui, avec son handicap (moins avancé), vit une intersectionnalité des discriminations dans le milieu du cinéma en plus de la violence médicale à laquelle elle est régulièrement sujette. Les associations mais aussi Janet Dafoe, psychologue, épouse du Dr. Ron Davis (biochimiste et généticien depuis plus de 50 ans, professeur à Stanford mondialement connu et initiateur de la recherche sur la maladie pour guérir leur fils Whitney Dafoe), Jessica Taylor-Bearman (alitée dès sa plus tendre enfance et dont la situation a été montrée dans « Unrest« , un documentaire de Jennifer Brea) et d’autres personnes de la communauté mondiale des malades chroniques, dont des médecins devenus eux-mêmes patients, m’ont fortement conseillé de toujours écouter mon corps et de ne pas dépasser mes limites physiques, psychologiques et cognitives, au risque d’aggraver irrémédiablement mon état de santé. Le bruit, la lumière, des odeurs, une étreinte et/ou un effort aussi simple que prendre une douche ou être déplacé en ambulance provoque souvent des crises de douleurs insupportables, une immobilité totale du corps et une inflammation généralisée (notamment du cerveau et du système nerveux central) pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

L’assistante sociale et l’administration de mon foyer m’ont refusé toute aide pour améliorer mes conditions de vie, me laissant enfermé 24h/24 dans une chambre de 9m² pendant plus d’un an, sachant que j’étais trop faible pour me rendre aux toilettes seul. Ils prétextaient dans un premier temps que les “papiers sont trop difficiles à faire”, puis réclamaient une reconnaissance de la MDPH (qui ne liste pas nombre de maladies chroniques) malgré plusieurs avis médicaux et disaient de but en blanc que mon récent mariage avec mon âme-sœur rencontrée dans les mêmes lieux n’était pas “compatible” avec l’aide sociale proposée et l’obtention de l’une des nombreuses chambres conçues pour la mobilité réduite, toutes attribuées qu’à des personnes valides. Mon handicap et la dégradation rapide de ma santé ne les ont pas sensibilisés plus que ça. Même si la police et les médecins ont en donné consigne, on ne m’a pas épaulé et j’ai perdu ma Complémentaire Santé Solidaire. La Sécurité Sociale me doit à présent des milliers d’euros que j’ai déboursé jusqu’à me ruiner. Je dois encore plus de 600 euros aux médecins urgentistes, ambulanciers, généralistes, spécialistes et pharmacies.

Je me suis tourné vers la police et la justice en portant plainte, en alertant le Défenseur des Droits et en sollicitant le Barreau de Paris. J’ai aussi mobilisé les associations de malades mais comme les bénévoles sont pour la plupart incapables d’assurer leurs propres besoins, iels n’ont pas pu aider. J’ai donc utilisé tous les moyens à ma disposition pour dénoncer ma situation déshumanisante, le racisme, la misogynie, les LGBT+phobies et l’exposition prolongée au COVID-19 (j’ai développé des symptômes persistants spécifiques en plus de mes maladies car aucun geste barrière n’a été respecté par les résidents qui se réunissaient en groupe) que mon époux et moi avons affronté pendant ces 3 dernières années dans cet espace de vie (cauchemardesque) où les étudiants et les jeunes travailleurs sont censés être protégés.

Nous avons été régulièrement harcelés, menacés et même frappés par les voisins et l’un des gardiens. La direction nous a accusés, couvrant ainsi plusieurs agresseurs, et a eu des propos tellement violents et discriminatoires que j’ai développé un syndrome post-traumatique, selon mon psychothérapeute. J’ai cent fois, littéralement, appelé la police car même pour les bruits persistants du voisinage (pourtant averti) qui me provoquent des crises de spasmophilies nécessitant très souvent des hospitalisations, j’ai été attaqué par le gardien et l’assistante sociale que j’appelais à l’aide. J’ai tenté de mettre fin à mes jours à 3 reprises depuis mars 2021. Nous sommes isolés et impuissants. L’hôpital m’a fait savoir « qu’il n’y avait plus rien à faire » et que je devais « rester auprès de mes proches ». Le seul médecin qui parvient à faire fonctionner plus ou moins mes organes et m’aide à ne pas m’évanouir à cause de la douleur et de l’extrême faiblesse est un neurologue dans le privé que je ne peux pas me payer. Des activistes trans nous ont aidé à trouver un logement temporaire. Il nous reste moins de 3 semaines avant de devoir quitter les lieux. Chose difficile quand un seul des deux travaille, en CDD, et qu’on n’a aucun proche voulant se porter garant.Mon introspection bouddhiste me permet de prendre conscience que dorénavant je vais devoir constamment me battre pour mes droits les plus fondamentaux, militer pour la reconnaissance de maladies chroniques invisibles destructrices mais aussi dénoncer les discriminations multiples et systémiques auxquelles je serai constamment sujet pour le restant de ma vie. Cela coûtera ma santé et mon énergie. Mais au moins, je peux encore agir. Pour moi, pour les millions de gens qui souffrent en silence, pour tout.e.s celleux qui ne sont plus là.

L’auteur de ce texte, Ambre, et son époux cherchent un logement accessible (Ambre cumulant plusieurs handicaps) et pérenne, sans garant. Si vous avez la possibilité de les aider, consultez le lien suivant pour plus d’infos : https://www.paypal.me/amberberine


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