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« L’école prépare à l’armée. »

posté le 14/10/20 par Georges Darien Mots-clés  répression / contrôle social  antimilitarisme 

Je voudrais seulement pouvoir compter les jeunes esprits qui sont abêtis par une éducation stupide, estropiés mentalement, avec le plus grand soin, pour toute leur vie. Le système d’instruction et d’éducation en vigueur en France est le plus mauvais du monde entier. Il est le plus mauvais parce qu’il est le plus tyrannique. Il n’a d’autre but que d’inculquer le respect de l’autorité ; que d’entretenir les différences de classes, l’esprit de hiérarchie, de discipline, d’obéissance abjecte ; de créer, dans la platitude, l’uniformité des caractères ; de traquer l’originalité et d’écraser l’individualité. Il tend, non pas à former les hommes, mais à remonter des automates.

L’enseignement supérieur est réservé à la bourgeoisie ; c’est un des instruments qui lui servent à maintenir sa suprématie. Les écoles spéciales, aujourd’hui que chacun peut s’instruire librement soi-même et suivant ses propres aptitudes, devraient être supprimées. Elles ne servent qu’à entretenir l’inégalité, à perpétuer la vaniteuse prépondérance de l’argent. Ce sont des pépinières pour les privilégiés ; ils en sortent avec des numéros d’ordre qui leur donnent des droits plus ou moins étendus sur l’existence de leurs semblables ou qui leur confèrent des monopoles insultants ou meurtriers. L’enseignement secondaire est, pour plus de moitié, entre les mains des congrégations ; il le serait entièrement que la démocratie, je crois, n’aurait pas grand’chose à y perdre. Son système, bien que remanié maladroitement plusieurs fois, a conservé son caractère dogmatique, exclusif. C’est un système à formules strictes, pauvre d’idées générales, hostile à l’esprit critique, qui exige qu’on suive un programme immuable, qui ne fait aucune concession à la diversité des intelligences ; qui permet d’apprendre, mais pas de comprendre. Il tue l’indépendance de l’esprit, émousse sa curiosité, l’étreint dans la camisole de force réglementaire. Les diplômes qu’il octroie fournissent des recrues à l’armée des fonctionnaires. C’est là son rôle fondamental. L’enseignement secondaire se complique des beautés de l’internat. Autant ne pas insister. Autant ne parler que pour mémoire de l’instruction dont l’État se charge de tatouer les jeunes filles ; étant donnés les débouchés qu’il leur offre, c’est une farce qui n’est point sans cruauté ; d’ailleurs, je serais obligé de dire quelques mots des couvents, et il y a des sujets devant lesquels recule mon instinctive pudeur. L’enseignement supérieur et secondaire produisent donc, sauf exceptions, des malheureux, des tyrans, et des garde-chiourmes.

Quant à l’enseignement primaire, il ne produit que des esclaves. J’admets à la rigueur qu’il peut y avoir une différence entre l’influence exercée sur l’esprit de l’enfant par l’école congréganiste et l’influence exercée par l’école laïque. Mais cette différence n’est que de surface. [...] L’école, quelle qu’elle soit, fait contracter l’habitude de la soumission servile, de l’humilité. On peut résumer son rôle d’un mot : elle prépare à l’armée. Il n’est sans doute pas mauvais qu’il en soit ainsi. Comme, en entrant au régiment, le Français doit sacrifier complètement sa personnalité, il est préférable qu’il n’ait point de personnalité et que la douleur du sacrifice, par conséquent, lui soit épargnée. Le grand point, c’est qu’il n’y ait plus d’illettrés en France ; que tous les citoyens puissent lire le texte des lois qui les garrottent ; compter les chaînons de leur chaîne ; écrire, sur les bulletins de vote, qu’ils désirent que la séance continue — avec Jean-qui-Bavarde pour la présider, en attendant Jean-qui-Tue. — On prépare l’avénement de Jean-qui-Tue, sans le vouloir il est vrai, en prodiguant au jeune Français des idées bizarres sur l’immense supériorité de sa patrie. [...] Voici, par exemple comment il se pourrait qu’on lui apprît l’histoire de la campagne de 1812 :

D. Qu’est-ce que c’est que la France ? — R. C’est un pays libre.

D. Pourquoi est-elle libre ? — R. Parce qu’elle est en république ?

D. Comment savez-vous qu’elle est en république ? — R. Parce que c’est écrit sur les feuilles des contributions.

D. Qu’est-ce que c’est que le Parlement ? — R. C’est l’assemblée des élus de la nation. Par conséquent, de l’élite de la nation.

D. Quel est le rôle du Parlement ? — R. Travailler sans relâche au bonheur du peuple.

D. Le Parlement s’acquitte-t-il toujours de sa mission ? — R. Toujours.

D. En quoi consiste le bonheur du peuple ? — R. Il consiste à payer les impôts.

D. Pouvez-vous dire pourquoi ? — R. Certainement. Le produit des impôts entre dans les caisses de l’État ; et comme l’État c’est tout le monde, plus il devient riche, plus tout le monde devient riche.

D. Quels doivent être les sentiments d’un citoyen à l’égard d’un membre du Parlement ? — R. L’admiration et le respect.

D. Cette règle souffre-t-elle des exceptions ? — R. Pas une.

D. Qu’est-ce que c’est que l’État ? — R. C’est la forme agissante de la Patrie.

D. Qu’est-ce que c’est qu’un fonctionnaire ? — R. C’est la forme de cette forme.

D. Quels sont les devoirs d’un citoyen à l’égard d’un fonctionnaire ? — R. L’obéissance et le respect.

D. Cette règle est-elle absolue ? — R. Oui. Si l’on cessait de respecter les fonctionnaires et de leur obéir, ils disparaîtraient.

D. Quelle serait la conséquence de cette disparition ? — R. L’anarchie. La barbarie.

D. Comment pouvons-nous tenir en échec cette barbarie. — R. Par le libre jeu de nos institutions, qui nous mettent au premier rang des peuples civilisés.

D. Qui nous a dotés de ces institutions ? — R. La Loi ; c’est-à-dire, la volonté populaire.

D. Comment s’exprime cette volonté ? — R. Par la voix des mandataires du peuple.

D. Que représentent donc ces mandataires ? — R. La Patrie.

D. Qu’est-ce que c’est que la Patrie ? — R. La portion du globe où un homme s’est donné la peine de naître, et où il peut continuer à vivre tant que l’argent ne lui manque pas, qu’il paye ses impositions et qu’il ne gêne point le gouvernement.

D. Jusqu’à quel point un citoyen doit-il aimer sa patrie ? — R. Jusqu’à la mort.

D. Comment appelle-t-on un citoyen qui remplit tous ses devoirs ? — R. Un contribuable.

Donc, c’est partout la même chose. L’infamie de l’enseignement congréganiste se retrouve, dépouillée de son appareil surnaturel, dans l’enseignement laïque ; et même, cet appareil surnaturel dont on a détroussé l’idole divine, on le jette sur les épaules du mannequin qui s’appelle l’État. L’âme de l’enfant est encagée dans le système ; le dogme, sous son véritable aspect ou travesti par la défroque des principes, vient l’emmailloter dans les bandelettes de traditions idiotes. Non seulement on prive l’enfant de liberté, mais on l’empêche de concevoir et même de sentir ce que c’est que la liberté. Il doit croire. Il doit avoir foi en l’homme au cœur cerclé d’épines ou en la femme au bonnet phrygien. Il doit vénération et dévouement à l’un ou à l’autre, et n’en peut espérer que silence et mépris. Du renoncement chrétien à la résignation civique il n’y a qu’un pas, — peut-être en arrière. — Du reste, les deux systèmes, le système congréganiste et le système laïque tel qu’il existe aujourd’hui, sont si complètement anti-naturels qu’ils ne peuvent vivre qu’en se prêtant l’un à l’autre le secours de leur abjection particulière. Si l’État n’a pas aboli l’enseignement de l’Église, c’est que l’abolition de l’enseignement ecclésiastique aurait entraîné immédiatement la mort de l’enseignement de l’État. Ces frères ennemis sont des frères siamois. Le lambeau de chair arraché à leurs victimes qui s’est greffé à leurs corps, qui les lie l’un à l’autre et qui les exaspère, est indispensable à leur existence. Cette existence est néfaste [...] Elle la condamne à la pire des lèpres, la lèpre du respect. On force les enfants à apprendre qu’il faut respecter certaines institutions et certains groupes d’hommes, parce qu’on craint qu’ils ne viennent à s’apercevoir que ces hommes et ces institutions ne sont pas respectables. On s’évertue à leur fermer les yeux, et l’on espère que l’aveuglement durera. C’est là un crime abominable et imbécile [...] Plus tard, s’apercevant que leur jeunesse fut empoisonnée de faussetés, flairant le mensonge partout, ils se laissent aller à une indifférence complète. De fatigue, ils souhaitent le bon tyran. Ils deviennent nationalistes.

Les Nationalistes, c’est la République qui les a créés lorsqu’elle s’est refusée à détruire de fond en comble le système d’enseignement servile que lui avaient légué les régimes déchus ; lorsqu’elle ne s’est pas résolue, à tout prix, à créer des hommes. D’ailleurs il était absurde d’espérer qu’un développement moral et intellectuel pût avoir lieu avant qu’on ne lui eût fourni, tout d’abord, un point de départ dans l’ordre matériel. L’homme ne vit pas seulement de pain ; mais il vit de pain, pour commencer. Voilà ce qu’il n’aurait pas fallu oublier. La vie est trop chère en France pour que l’instruction puisse y donner de bons résultats. Et puis l’école obligatoire, c’est très joli… Pourtant, ce n’est pas l’école qui forme l’esprit, l’intelligence et le cœur. C’est la nature ; c’est le contact avec la vie ; le commerce libre des deux sexes. L’école est un bâtiment. Tous les bâtiments sont des prisons. Ce n’est pas le maître d’école qui doit être le vrai éducateur et le guide du peuple. Le maître d’école est un maître. Tous les maîtres guident l’homme vers une seule direction : la servitude. [...]

L’instruction donnée par l’école à l’enfant le rend simplement apte à jouer un rôle machinal dans l’atelier de travaux forcés que lui ouvrira la Société ; au point de vue hautement éducationnel, progressif, elle est nulle et non avenue. Elle ne commencera à prendre une valeur que le jour où la faim aura disparu, où l’on aura écrasé la gueule de la misère sous le dernier moellon de la dernière église [...]

Georges Darien
La Belle France (1900)


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