L’universitaire français Olivier Le Cour Grandmaison a estimé que l’ensemble des crimes coloniaux, commis par la France, doivent être qualifiés "comme ils devraient l’être", affirmant que la déclaration du président Emmanuel Macron sur l’affaire Maurice Audin est un "immense pas".
"Si la déclaration d’Emmanuel Macron, au sujet de l’arrestation, de la torture et de la disparition de Maurice Audin, est un immense pas pour la famille, et pour toutes celles et tous ceux qui, depuis cet événement, se sont mobilisés pour que le crime perpétré ce jour-là soit enfin reconnu par les plus hautes autorités de l’Etat, beaucoup d’autres devront être effectués pour que l’ensemble des crimes coloniaux soient qualifiés comme ils devraient l’être", a-t-il précisé dans entretien à l’APS à quelques jours de la déclaration du président français.
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Cependant, il a estimé que le président et ses conseillers demeurent "très en-deçà" de ce qui aurait dû être déclaré, rappelant que lors de son déplacement à Alger, en tant que candidat à l’élection présidentielle, il avait déclaré que la colonisation avait été un "crime contre l’humanité", mais il s’est bien gardé, a-t-il dit, de réitérer ses propos à cette occasion "alors que les faits visés ressortissent bien à ce type de qualification".
L’auteur de "L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies" (Fayard, 2014) a tenu également à rappeler au chef d’Etat français que l’article 212-1 du Code pénal français explique que sont considérés comme des crimes contre l’humanité : "la déportation (...) ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, la torture ou d’actes inhumains inspirés par des motifs politiques (...) organisés en vertu d’un plan concerté à l’encontre d’une population civile".
"Pour ménager les militaires, la droite et l’extrême-droite, et sans doute aussi, une partie de son électorat, peut-être aussi pour éviter des procédures judiciaires, cette qualification n’a donc pas été employée alors qu’elle est parfaitement adéquate aux pratiques de l’armée française pendant la guerre d’Algérie et aux crimes commis antérieurement à partir du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, puis en Indochine, à Madagascar en 1947 et le 17 octobre 1961 à Paris", a-t-il soutenu, soulignant que de ce point de vue, la déclaration du président Macron "ne saurait satisfaire celles et ceux qui exigent, parfois depuis des décennies, que ces massacres soient reconnus par les plus hautes autorités de l’Etat".
Les massacres du 17 octobre doivent être reconnus comme crime d’Etat
A propos de la promesse du président Macron d’ouvrir les archives, l’universitaire juge ambiguë sa déclaration à ce sujet.
"Soit cela porte uniquement sur l’affaire Audin, et c’est alors singulièrement restrictif, soit cela concerne l’ensemble de la guerre d’Algérie, et la mesure est autrement plus importante. Reste que cet accès demeure le fait du prince", a-t-il expliqué et, pour ne pas abandonner son doute, il s’interroge sur le sort "des archives relatives aux événements précités auxquels il faut ajouter le massacres de Thiaroye du 1er décembre 1944 et la guerre trop longtemps oubliée conduite au Cameroun entre 1955 et 1971".
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Pour Olivier Le Cour Grandmaison, comparativement à d’autres pays comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la législation française sur l’accès aux archives est "une des plus restrictives et que beaucoup, par le passé, se sont vus refuser l’accès à certaines archives", mettant en valeur, dans ce cadre, le travail du regretté Jean-Luc Einaudi sur les massacres du 17 octobre 1961.
Il a annoncé à cet effet que, dans moins d’un mois, le collectif pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre à Paris et sa banlieue se réunira, comme tous les ans, sur le Pont Saint-Michel pour "exiger la reconnaissance de ce crime comme crime d’Etat et l’ouverture de toutes les archives".
"Le président de la République laisse croire qu’il est disposé à solder les comptes du passé criminel de la France en Algérie, qu’il le prouve en faisant enfin une déclaration précise et circonstanciée sur ce qui s’est déroulé à Paris et en banlieue parisienne où les arrestations arbitraires, la torture et les disparitions forcées ont également été employées par des policiers et des harkis agissant sous les ordres du préfet de police de l’époque, Maurice Papon", a-t-il conclu.