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« La politique identitaire c’est l’État »

posté le 25/05/18 Mots-clés  réflexion / analyse  genre / sexualité 

CRISE D’IDENTITÉ

Il est clair que, puisque les identités façonnent nos expériences, nous ne pouvons pas faire une croix sur l’identité comme si c’était sans importance. Cependant, il est tout aussi clair que nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir les identités qui nous sont imposées. Ainsi, une apparente contradiction surgit entre la nécessité de reconnaître l’identité construite socialement, et les tentatives de détruire la société de classes qui impose ces identités. Cette contradiction se révèle difficile, avec une gamme de réponses qui s’étendent du mépris pour la destruction de la société de classes au mépris de l’identité, en passant par de nombreux autres arguments, quelque part entre ces deux positions.

Identité, politique et anti-politique

Comme mentionné dans la section ci-dessus, une fois que certains cercles de Bash Back ! se furent complètement débarrassés des tendances libéro-pacifistes, le conflit allait s’orchestrer entre militantEs et insurrectionnalistes, qui s’opposaient sur la question de l’identité. Bien que les conflits sur la question de la violence cités plus haut se soient souvent développés en parallèle des discussions sur l’identité, je me soucie plus des discussions sur l’identité qui prennent la violence pour une évidence. Cela permettra de mettre en lumière une série de questions et de conflits spécifiques à Bash Back ! Une perspective possible sur ce conflit serait de séparer les partisanEs en deux groupes, avec les militants de la politique identitaire d’un côté et les anti-identitaires de l’autre. Le premier prend l’identité pour une évidence et une condition préalable qui doit déterminer comment nous nous organisons et luttons, le second désigne l’identité comme l’ennemi. Les positions au sein de ce conflit n’étaient pas stables – les individus et les groupes au sein de la tendance Bash Back ! pouvaient aussi bien incarner l’une ou l’autre de ces positions, ou les deux à la fois. Je vais écarter de nombreuses spécificités de ces conflits, puisque bon nombre d’entre elles devrait rester du domaine de l’abstraction, et que pour le reste je ne suis pas la personne indiquée pour en parler. Je choisirai plutôt de me concentrer sur le fondement théorique de cette confrontation et je laisserai la place à celleux qui l’ont vécue pour se situer au sein de cette lecture.

Ce problème interne à Bash Back ! est tout à fait approprié dans la mesure où il s’agit d’une problématique queer. Le fait d’être queer est en soi un territoire contesté, ouvert à des débats et critiques sans fin. Pour une certaine catégorie de personnes, le fait d’être queer est un projet positif, avec son propre ensemble de normes et de formes communautaires. Pour d’autres, le fait d’être queer ne peut être conçu que négativement, comme ce qui dépasse ou ne parvient pas à répondre à un ensemble de normes. C’est ainsi que « Queer » devient une catachrèse, ou un nom donné à tort ce qui ne peut être nommé. Une étiquette apposée sur ce qui ne peut être étiqueté. Les prises de position au sein de Bash Back ! avaient comme point de départ de multiples positions au sein de cette matrice théorique complexe. Il faudrait débattre de si la position d’unE participantE au débat découlait souvent directement ou non de son contexte (anti-politique). CeLLEux qui ont rejoint Bash Back ! en passant par les études de genre avaient tendance à se conduire comme des troupes d’assaut militantes au service de n’importe quelle doctrine glanée auprès de leurs professeurEs. CeLLEux qui étaient empêtrées dans les cercles anarchistes insurrectionnalistes avaient tendance à faire preuve d’une forte (et parfois peut-être trop sévère) aversion envers la lutte basée sur l’identité, et se concentraient plutôt sur la localisation des points de conflit au sein de l’identité. CeLLEux qui venaient de scènes queer établies ont apporté avec eLLEux toute une gamme d’attentes en matière de comportement et de langage – attentes souvent étrangères à ceLLEux qui n’étaient pas familiarisées avec ce genre de cliques. Ce qui est si queer dans l’ensemble des conflits en jeu au sein de Bash Back !, c’est que chacune de ces positions s’imprégnait de l’autre, donnant naissance à un large éventail de perversions.

Je tiens à dire que bon nombre de ces conflits ont permis une certaine synthèse qui pourrait se révéler bénéfique pour les anarchistes dans les luttes à venir : l’expérience doit être la base de la lutte. Si nous comptons nous engager dans des luttes matérielles contre l’ordre social, nous devons partir de nos propres expériences vis-à-vis de cet ordre. Cela veut dire que ceLLEux qui partagent un ensemble d’expériences face au capitalisme auront une longueur d’avance toute naturelle pour forger des alliances contre la société. Voici la graine de vérité qui germe au cœur de l’identité. Malheureusement, tant de couches d’abstraction et de mystification héritées de la politique identitaire étouffent cette graine. Tout effort qui vise à renforcer un pouvoir autonome basé sur notre position à l’intérieur et à l’encontre de la société doit commencer par renoncer au bagage illusoire de la politique identitaire.

Voici un rapide aperçu de certaines positions anti-politique identi- taire distillées par Bash Back ! :

- La politique identitaire est toujours basée sur l’aplanissement de l’expérience, ce qui rend la critique de la société abstraite plutôt que vécue.
- La politique identitaire promeut les alliances entre classes, permettant ainsi à ceLLEux qui jouissent d’un pouvoir plus ample (et qui trouvent donc leur intérêt dans la prolifération de la société de classes) de réduire au silence les personnes les plus marginaliséEs au sein de ces alliances.
- La politique identitaire est enracinée dans l’idéologie de la victimisation, et en vient à célébrer et imposer des normes qui déterminent à quelle activité les participantEs peuvent se livrer ou non. Cela renforce certaines mythologies au sujet de la lutte (par exemple « seuls des hommes blancs cis participent aux black blocs » ou « les oppriméEs sont incapables de certaines stratégies de révolte »).
- La politique identitaire est toujours basée sur l’idée fausse de communautés cohérentes. Comme l’ont dit certainEs FrançaisEs : « les différences éthiques au sein de chaque "peuple" ont toujours été plus grandes que les différences éthiques entre les "peuples" eux-mêmes. ». C’est-à-dire que ceLLEux qui sont piégéEs à l’intérieur de certaines « communautés » ou identité confinées ont souvent moins de choses en commun entre elles qu’avec ceLLEux qui sont censéEs leur être opposéEs. Cette erreur se nourrit de l’abstraction de l’expérience plutôt que de l’analyse de l’expérience vécue en tant que telle. UnE queer en prison a plus en commun avec sa compagnonNE de cellule hétéra qu’avec une ordure de sénateur gay, et pourtant la mythologie de la « communauté LGBT » sert à étouffer les ennemiEs de la société et à les asservir à leurs représentantEs auto-proclaméEs.
- La politique identitaire est fondamentalement réformiste et cherche à trouver une relation plus favorable entre différentes positions de ses sujets plutôt que d’abolir d’emblée les structures qui produisent ces positions. Les partisanEs de la politique identitaire s’opposent au « classisme », pourtant ielles se contentent de laisser intacte la société de classes. Toute résistance à la société doit être au premier plan de la destruction des processus subjectivants qui reproduisent la société au quotidien, et doit détruire les institutions et les pratiques qui racialisent et genrent les corps au sein de l’ordre social.
- La politique identitaire est déployée par l’État, elle y fait intrinsèquement référence, elle le valorise systématiquement, elle lui appartient ; la politique identitaire, c’est l’État.

Si l’on prend cette analyse à cœur, Bash Back ! peut être vu comme une tentative de forger une pratique de résistance depuis l’expérience vécue en dehors de la logique de la politique identitaire. Bien que que son auteurE ne soit pas unE participantE de Bash Back !, nous avons inclus un texte écrit par des anarcho-féministes de San Francisco, intitulé « Anarcho-féministes dans la rue ». Ce texte, publié au moment de la crise identitaire de Bash Back !, offre un moyen unique et exceptionnel de conceptualiser le patriarcat pour mieux lui résister.

Citation :

« Ironie du sort, en dépit de notre critique, et parfois notre haine, envers la politique identitaire, nous voilà pourtant réuniEs autour d’une identité (un peu en vrac) : Nous sommes des personnes qui ne veulent plus être victimes de la tyrannie du genre et de la misogynie. Dans ce groupe, nous espérons contourner, dans une certaine mesure, notre genre et ce que cela implique pour nous dans ces vies que nous vivons dans ce monde d’hommes, afin de mieux pouvoir imaginer un monde où la dynamique du genre n’influencerait pas chaque interaction. Nous nous unissons pour nous battre pour une réalité où les identités tels que "homme", "femme" et "trans" sont des illogismes. »

Je suivrai les auteurE(s) du communiqué anarcho-féministe car elles s’envisagent elles-mêmes comme unies dans leurs désirs et leurs dispositions, plutôt que dans leurs identités. Sans référence à un sujet partagé ou stable, les auteurEs de cet article posent les jalons d’une force anti-essentialiste, anti-identitaire pour lutter contre le patriarcat. Dans un contexte où le féminisme deuxième vague refait surface dans les cercles insurrectionnalistes anarchistes/communistes, ce mode de pensée est une bouffée d’air frais. Il nous propose des pistes pour construire le type de machine de guerre capable de détruire le genre. C’est pourquoi je ne conçois pas Bash Back ! comme enraciné dans l’identité queer. Je l’envisage plutôt comme une expérience dans la construction d’une constellation offensive de prises de positions queers.

Bash Back !
QUEER ULTRA VIOLENCE


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