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Les obsessions de Franz-Olivier Giesbert, portrait d’un « phare dans la brume médiatique »

posté le 24/05/18 Mots-clés  antifa 

En politique, lorsqu’il aime, Franz-Olivier Giesbert, dit « FOG », éditorialiste au Point et – depuis l’été 2017 – directeur éditorial de La Provence, ne compte pas. Il est même, lorsqu’il distribue des flagorneries, d’une prodigalité qui parfois confine à la folie dépensière. Itou : lorsqu’il sécrète des admirations professfionnelles – mais toujours très triées, et qui ne s’adressent jamais qu’à de hautes éminences –, il peut pousser loin la flatterie, jusqu’à donner presque l’impression de l’exagérer un peu.

Cela s’est vu au mois de février 2007, lorsqu’il a, pris de modernité, ouvert un blog, où ses premières incursions – qui allaient aussi être les dernières, à très peu près – furent consacrées, dans cet ordre, à l’onction de Ségolène Royal, femme « séduisante », puis de Jack Lang, personnage « sincère », puis encore (et par un admirable souci, probablement, d’équilibrer l’exercice) de Nicolas Sarkozy, homme « de conviction », puis enfin de l’éditocrate Alain Duhamel, – en qui s’incarnaient, selon Giesbert, l’« honnêteté intellectuelle », la « conscience professionnelle », et la « rigueur aussi ».

Ces cajoleries furent d’un effet presque immédiat, qui cependant n’était sans doute pas celui qu’escomptait leur auteur : par dizaines, des internautes déposèrent sous sa prose des commentaires extatiques, où il était acclamé en « phare dans la brume médiatique », « héritier des plus belles plumes françaises » – mais dont il ne perçut pas l’écrasante ironie.

De sorte qu’il fallut, quarante-huit heures plus tard, un court article du quotidien Libération dont les deux auteurs constataient que FOG n’avait « vu que du feu [1] » à ces taquineries pour qu’enfin l’intéressé prenne conscience qu’il était l’objet d’une large risée : piqué au vif par tant de vileté, il rétorqua que les « jobastres » de Libé faisaient de piètres journalistes, vautrés dans leur « manque de rigueur ». Puis il mit un terme, assez vitement, à son expérience bloguière – mais sans cependant briser l’élan qui, des années plus tard, lui fait encore, et si souvent, mignoter des puissants.

« Quand on fera danser les couillons »

Dans la fin de l’hiver 2015, Franz-Olivier Giesbert forme le projet, un peu fou, d’« écrire un article sympa sur Bernard Tapie » – dont le nom défraie depuis vingt ans la chronique judiciaire. Plus précisément : il ambitionne, expliquera-t-il, de confectionner « un article qui ne pourrait être publié nulle part, surtout pas dans Le Monde, temple tatillon de la bien-pensance [2] ». FOG s’ouvre de ce généreux dessein à son « nouveau patron », Étienne Gernelle – qui lui a succédé, quelques mois plus tôt, à la direction du Point –, et à quelques autres collaborateurs de cet hebdomadaire. L’un de ces interlocuteurs – conscient, peut-être, que le ridicule, s’il ne tue pas, peut tout de même éclabousser une rédaction – lui suggère : « Essaie quand même de faire un papier nuancé. »

La réponse fuse : « Ah non ! Ce n’est pas l’idée. J’adore aller au secours des gens à terre. »

Le preux Giesbert pressent, certes, qu’à encenser « Belzébuth » Tapie, il va « se faire allumer ». Mais il n’est pas homme à se laisser intimider par « les Torquemada du bisounoursisme », et le voilà parti pour un long déjeuner « à Saint- Germain-des-Prés », où les deux compères, adeptes réputés d’une même sobriété, se retrouvent autour d’« une pizza. La plus fine de Paris, rue du Dragon. Quelques grammes de pâte et de roquette, avec un verre d’eau ». L’éditocrate « décide » de questionner son commensal – nous verrons plus loin que cela est de quelque importance – sur « ses projets en tout genre pour les journaux du Midi qu’il contrôle ». (Car enfin : « Quelle étrange idée de se lancer, pour ses derniers combats, dans un secteur aussi dur que la presse ! »)

Tapie fait, en guise de réponse, cet éloge, bouleversant, du journalisme indépendant : « La Provence, qui s’est lancée dans le tourisme et les loisirs, organise déjà des croisières, des salons et des spectacles. Pour créer un rapport intime avec le lecteur, elle pallie aussi les insuffisances administratives avec des services d’aide à la personne en matière de droit ou d’assurance. Sa carte d’abonné donne enfin le sentiment d’appartenir à une communauté avec des réductions aux Galeries Lafayette, chez Bricorama ou McDonald’s, etc. »

Giesbert, que rien ne semble perturber dans cette évocation d’une presse enfin émancipée des lourdeurs de l’information, conclut : « Tapie, nouveau magnat de la presse ? Pour reprendre une formule de Pagnol, quand on fera danser les couillons, je suis sûr qu’il ne montera jamais sur scène, non, il restera tranquillement à l’orchestre, les mains dans ses poches […]. »

« Aimer Fillon »

Au mois de novembre 2016, à l’issue d’une « primaire » organisée par son parti, François Fillon, ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, devient le candidat officiel de la droite dite républicaine à l’élection présidentielle qui doit avoir lieu l’année suivante. Aussitôt, Franz-Olivier Giesbert, chez qui les ans n’ont donc toujours pas érodé la fibre cajoleuse, déroule, dans un éditorial mémorable, « 7 + 1 raisons d’aimer François Fillon », qui « pourrait » selon lui « être », dans cette compétition, « meilleur que tous ses prédécesseurs [3] ».

Car en effet, outre qu’il « a un discours construit et des convictions fortes », l’impétrant, « s’il est élu, […] sera le premier président de la Ve République à avoir les yeux qui sourient ». Puis encore : « Il est cultivé, […] il aime la montagne, les longues marches et les 24 heures du Mans, et il n’a jamais caché qu’il était catholique. »

Mais surtout : « De toutes les bonnes raisons d’apprécier M. Fillon il y en a encore une qui dépasse les autres : l’ire contre lui d’une certaine gauche qui a perdu […] tout sens commun. »

Mauvaise pioche : dans les semaines qui suivent cette ode, Le Canard enchaîné publie une série d’articles accablants, d’où ressort que l’épouse de l’aimable M. Fillon aurait été (fort convenablement) rémunérée, pendant de très longues années, comme assistante parlementaire de son mari – mais qu’il resterait peu de traces tangibles du travail qu’elle assure avoir effectué en contrepartie des centaines de milliers d’euros d’argent public qui lui ont alors été versés.

D’autre part : l’hebdomadaire révèle que Penelope Fillon a également été, dans la même période – et en même temps, donc, qu’elle était censée travailler à plein temps pour son mari –, généreusement rétribuée par la vénérable Revue des deux mondes, qui lui a versé, entre mai 2012 et décembre 2013, l’assez rondelette somme de 100 000 euros. Ce dernier aspect de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « les affaires Fillon » mérite que l’on s’y arrête, car il jette une lumière rare sur un tout petit monde méconnu, dans lequel gravite aussi un certain… FOG.

La Revue des deux mondes est en effet la propriété du millionnaire Marc Ladreit de Lacharrière, qui a personnellement procédé à l’embauche de la femme de son « ami » François Fillon [4]. En 2014, Lacharrière, qui est aussi l’« ami » de longue date de… Franz-Olivier Giesbert, a également trouvé une nouvelle directrice pour sa revue, en la personne de Valérie Toranian, ancienne cheffe de l’hebdomadaire Elle – qui se trouve être, à la ville, et par une divertissante coïncidence, la compagne dudit FOG.

Bien évidemment : rien n’est illégal, dans cette embauche – qui a cependant induit, au sein de la rédaction, comme il est souvent de règle en de tels moments, quelques bouleversements. Par exemple, comme l’a relevé Le Monde : il y a « désormais […] deux anciens patrons de la presse magazine […] aux commandes » de la revue. Car, dans le proche sillage de Valérie Toranian, Franz-Olivier Giesbert « a fait irruption en mars » 2015 « au comité de rédaction [5] ».

Sous la houlette de ce courageux tandem de contempteurs de la « bien-pensance », la vénérable publication, emblématique, naguère, d’un conservatisme à peu près tempéré, devient un comptoir – un de plus – où viennent s’accouder quelques hautes figures du commentariat réactionnaire, comme Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq ou Éric Zemmour, que Giesbert portraiture en estimable « prophète ».

Parfois, toutefois, La Revue des deux mondes revient sur un terrain plus immédiatement politicien. Dans la fin de l’hiver 2017, elle consacre ainsi la couverture de son numéro des mois de février et mars – bouclé avant la parution des premières révélations du Canard enchaîné –, puis un épais dossier, à l’« iconoclaste » François Fillon, dont le critique littéraire Martin de Viry chante notamment l’« humilité » et la « constance ».

FOG, bien sûr, est de la partie – et n’a rien abandonné de l’enthousiasme qui déjà lui faisait écrire dans Le Point, en novembre 2016, qu’il convenait d’« aimer Fillon ». Quatre mois plus tard, il confirme que l’ex-Premier ministre est « de son temps », qu’il « aime étonner », qu’« il est toujours au courant de tout », et qu’il a du reste fini par « devenir la droite ».

Résultat : Le Monde publie un caustique article dont l’auteur – Nicolas Truong, responsable des pages dédiées aux « débats » du quotidien du soir – se gausse de cet « embarrassant panégyrique », et de l’application toute particulière que Giesbert met à flatter Fillon [6]. Pour FOG, qui est plus habitué aux flagorneries que lui prodiguent par exemple les collaborateurs du Point lorsqu’il publie un livre, c’en est trop : dans le numéro suivant de La Revue des deux mondes, il se déchaîne contre les « pisse-froid » du quotidien du soir, « un journal qui suinte souvent la haine, le ressentiment, ce que Spinoza appelait les “passions tristes” ».

« Honnir l’islam »

L’objectivité commande cependant de ne pas enfermer Franz-Olivier Giesbert dans le seul périmètre des louanges, éventuellement effrénées, dont il régale régulièrement des puissants. Mais de lui concéder qu’il sait aussi se montrer infiniment plus rugueux – ou carrément insultant –, et qu’il arrive, régulièrement, qu’on le voie, plutôt que dans le miel, tremper sa prose dans l’acide. Voire, certaines fois, dans le venin. Jusqu’au dégoût.

Les musulman.e.s, notamment, lui inspirent, semble-t-il, un peu moins de vénération que MM. Tapie et Fillon (liste non exhaustive). Lorsqu’il évoque la religion mahométane, il peut même arriver qu’il produise des proférations lourdement connotées.

Aux toutes premières lignes de son éditorial du 1er novembre 2012, par exemple – sur lequel il convient de s’arrêter un peu, car on y trouve plusieurs des procédés par quoi l’éditocratie entretient dans l’époque une anxiété anti- musulmane permanente –, il proclame son intention de briser un « tabou » : celui du « débat sur l’islam », qui aurait selon lui été trop longtemps abandonné « aux gueulards populistes d’un côté et, de l’autre, aux […] vierges effarouchées de la bien-pensance […] horrifiées à l’idée que l’on puisse seulement l’effleurer ».

La réalité factuelle du moment où il écrit cela n’est pas exactement ce qu’il en dit. Dans la vraie vie, le débat public – et accusatoire – autour de l’islam, loin d’être le tabou que prétend FOG, est, depuis le début du nouveau siècle, très régulièrement relancé par des politiciens dévergognés et leurs journalistes d’accompagnement, et les voix de la « bien-pensance » – l’expression désigne, dans la novlangue réactionnaire, quiconque s’émeut de cette constante stigmatisation – y sont très, très minoritaires, pour la bonne raison que la presse et les médias leur préfèrent bien souvent celles des crieurs antimusulmans.

Franz-Olivier Giesbert le sait du reste fort bien, et d’autant mieux que, sous sa houlette, son propre magazine, Le Point, dont le fondateur – feu Claude Imbert – s’était publiquement targué en 2003 d’être « un peu islamophobe », contribue périodiquement à cette stigmatisation : l’on s’y alarme à grand bruit de « cet islam sans gêne », s’y apeure du « péril islamiste », s’y effraie de « la burqa » – et l’on y encense, d’Alain Finkielkraut à Michel Houellebecq, les mêmes publicistes, spécialisés dans la fustigation des mahométans, que célèbre aussi La Revue des deux mondes.

Mais l’occultation délibérée de cette vérité que le tabou qu’il prétend briser l’a déjà été cent et cent fois a ceci de très avantageux qu’elle permet à FOG de se poser en iconoclaste quand il récite, sur l’islam, les mêmes psaumes, exactement, qui sont partout psalmodiés aux endroits où se forge l’opinion. C’est à ces trichages que se reconnaît l’éditocrate véritable : lui en est un, assurément.

Comme tel, il maîtrise aussi l’art difficile de la prétérition – ce délicat exercice de rhétorique qui consiste à déclarer que l’on ne va pas parler d’une chose alors qu’on s’apprête précisément à l’évoquer. Lorsqu’il affirme par exemple, dans le même cauteleux éditorial, que « la stigmatisation d’une religion ou d’une communauté est toujours une mauvaise action » car « elle divise, ostracise et hystérise sans faire avancer les choses », c’est pour mieux asséner, immédiatement après, qu’« il ne devrait pas être question de pouvoir enfreindre les règles fixées en 1905, lors de la séparation des Églises et de l’État », mais que « c’est ce qui se passe aujourd’hui, sous la pression d’une immigration qu’ont rendue conquérante des années de frustrations et d’humiliations », et face à laquelle « la France », prise d’« une espèce de fatigue historique », échoue « à faire respecter ses valeurs » – liberté, laicité, égalité, laicité, fraternité, laicité.

Puis de conclure : « Tant et si bien que beaucoup de Français en sont venus à honnir l’islam, qui n’en peut mais et qui a simplement gagné le terrain qu’on lui a cédé, pleutres que nous sommes », et qui, « parce qu’il ne trouve aucune résistance ou presque, […] avance tranquillement ses pions dans les hôpitaux, les cantines ou les pro- grammes scolaires ».

Dans l’espace congru, donc, de son billet semainier, le même subtil prosateur qui assurait d’abord ne pas vouloir stigmatiser « une religion ou une communauté » agglomère très tranquillement « une immigration conquérante » et « l’islam qui avance ses pions » jusque dans les écoles de la République.

Trois ans plus tard, il récidive. Par une nouvelle prétérition, il jure, dans son éditorial du 22 janvier 2015 – que l’on devine écrit avec une main sur le cœur –, « qu’on ne luttera jamais assez contre les discriminations ». Puis il tempère : « Mais s’il est vrai que l’accès au travail n’est pas égalitaire en France, l’intégration reste bien réelle au niveau des prestations sociales, médicales et des aides en tout genre. Sur ce plan au moins, les musulmans ne sont pas des citoyens de seconde zone… » Cette logorrhée ne déparerait que peu dans l’une, quelconque, des feuilles d’extrême droite où les mêmes tristes antiennes sont régulièrement déclinées. Mais il messiérait d’appliquer au distingué Franz-Olivier les mêmes amalgames dont lui-même use libéralement – comme nous l’allons maintenant revérifier.

« La dernière nation communiste de la planète »

Plus encore, peut-être, que celle des immigrants dominateurs qui insinuent l’islam jusque dans nos CHU en se gavant d’allocations, l’évocation de la gauche française, « la plus bête du monde, nul ne peut plus en douter », plonge FOG dans des états de fureur qui font parfois craindre pour son équilibre.

Il est vrai que pour lui, comme naguère pour Claude Imbert, qui s’était aussi fait une spécialité de détecter dans l’Hexagone d’irrepentants bolcheviks, la France est, en 2017, et « d’une certaine façon, la dernière nation communiste de la planète [7] ». Car, certes, constate Giesbert dans une fugace concession au réalisme, « notre cher et vieux pays ne vit pas sous un régime policier où, comme au temps de l’URSS, le KGB tue les mal-pensants dans les caves quand il n’écoute pas leurs conversations téléphoniques ». Mais il ploie tout de même sous le joug d’un « communisme mou, sinon doux », qui se voit notamment dans « le long leadership qu’a exercé » la CGT « sur le monde du travail ».

D’ailleurs, assure FOG : les Français apprennent, « dès la petite enfance, que tous nos ennuis viennent de l’ultralibéralisme, souvent qualifié de “sauvage” », qui « selon ses nombreux contempteurs, […] conduirait à l’asservissement des peuples par les banquiers et les ploutocrates ». Et surtout : « avec des dépenses publiques qui s’élèvent à 57 % du produit intérieur brut, la France est évidemment plus proche du communisme que du libéralisme, contrairement à l’Allemagne (44 %) ou à la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) » – ce dernier argument étant, du point de vue de Franz-Olivier Giesbert, celui « qui rend si risibles les discours antilibéraux ».

Dans un pays qui vient de se doter – de mauvais gré – d’un président – Emmanuel Macron – qui estime qu’« il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », cette démonstration délirante ne vaut que pour ce qu’elle révèle des obsessions de son auteur, que taraudent, au plus haut de ses tourments, une détestation hallucinée de la CGT et une hantise maladive de la « dépense publique » (aussi longtemps, du moins, qu’elle n’approvisionne pas les comptes des entreprises qui l’emploient).

« Un ennemi de l’intérieur »

L’évocation des syndicalistes de la CGT, en effet, fait sortir FOG de ses gonds. En juillet 2014, il suggère que les « braillards » de la CGT – ainsi qu’il est appelle – portent, dans le champ syndical, les mêmes nuisances que les lepénistes dans celui de la politique politicienne : « À quoi peut donc servir la CGT ? Même si la centrale, ne souffrant pas la critique, aime rouler les épaules en jouant l’intimidation, c’est pourtant la question qu’il faut oser poser aujourd’hui : avec son parasite SUD – il y en a toujours sur les grosses bêtes –, la Confédération ne travaille-t-elle pas en sous- main pour les industries allemande, chinoise, américaine, indienne ou bulgare ? Un ennemi de l’intérieur ne ferait pas mieux.

La vérité oblige à dire que la CGT est au syndicalisme ce que le FN est à la politique. Un boulet national, une attraction universelle, une “exception française”. Non seulement elle enfourche avec obstination toutes les mauvaises causes, mais elle décourage les initiatives, pro- page des mensonges et attise les haines. Autant dire, doux euphémisme, qu’elle ne contribue pas pour peu au déclin économique de notre pays. »

Deux ans plus tard, en 2016, l’éditocrate bascule dans l’ignominie et se lance dans ce qu’il qualifie lui-même de « comparaison scabreuse » – avant d’ajouter qu’il n’est, à son avis, pas forcément « illégitime d’oser la formuler ». Il écrit, dans Le Point daté du 2 juin, que « la France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT ». Puis de préciser, toute honte bue : « Il va sans dire que ces deux organisations minoritaires ne sont pas de même nature, rassurons tout de suite la police de la bien-pensance. Mais, sur le plan tactique, elles peuvent avoir recours aux mêmes armes. L’intimidation, notamment. »

Le propos n’est pas complètement neuf : quelques semaines plus tôt, Pierre Gattaz, président du Medef, avait déjà excrété, dans le cours d’un entretien avec un journaliste du Monde, que les syndicalistes de la CGT mobilisés contre la loi dite El Khomri se comportaient « comme des terroristes ». Mais le patron des patrons avait du moins regretté, après le tollé suscité par cette comparaison, d’avoir employé « un mot inadapté ».

Giesbert, tout au contraire, « persiste et signe, n’en déplaise à Twitter », où ses propos ont été largement condamnés, « et aux apôtres de la bien-pensance ». Dans son éditorial du 9 juin, il se pose d’abord en victime : « Pour avoir osé procéder à un rapprochement entre les stratégies d’intimidation de Daech et de la CGT, j’ai eu droit, la semaine dernière, à des tombereaux d’injures et d’appels au meurtre déversés par les réseaux sociaux », écrit-il. Après quoi, crânement campé dans la posture de pseudo-rebelle faussement rétif aux airs du temps qu’il affectionne tout spécialement, il redouble ses injures :

« Qu’importe si j’avais pris soin de souligner les différences entre des organisations qui, précisais-je, ne sont pas de même nature, cela crève les yeux. La pointe avait fait mouche. Je persiste et je signe, n’en déplaise aux sites tenus par la police de la bien-pensance (Mediapart, L’Express, le Huffington Post, etc.) ou aux twittos, avatars des chiens de Pavlov dont les clabaudages rappellent à bien des égards ceux de la “populace” robespierriste qui a tant ensanglanté la Révolution française. Tel est climat dans cette France des passions tristes, réveillée par la CGT. »

« Sur la bête, donc le contribuable »

FOG s’obsède donc facilement : cela se voit aussi – cela se voit surtout – dans l’espèce de maniaquerie qu’il met à fustiger, pour réclamer, bien sûr, toujours plus de « flexibilité », la « dépense » et la « dette » publiques.

Le 23 janvier 2014, par exemple, il proclame : « Après trois décennies de folie, la France doit cesser de dépenser plus qu’elle ne produit. Autrement dit, faire maigre. » Cinq mois plus tard, le 12 juin, il se fait plus menaçant : le « temps » est venu, déclare-t-il, de « guérir la France sans lui demander son avis, quitte à la brutaliser un peu », en réduisant « ses astronomiques dépenses publiques ». Le 19 avril 2015, il prédit :

« Ce qui fera reculer le Front national, c’est une politique économique et sociale qui lui coupe l’herbe sous le pied. Pour ce faire, il n’y a pas trente-six solutions. D’abord, assouplir le droit social avec la “flexi-sécurité”. Ensuite, réduire drastiquement les dépenses publiques. » Le 5 septembre 2016, il alerte :

« Nous dépensons de plus en plus pour l’État-providence, avec un taux aberrant de 57 % de dépenses publiques par rapport au PIB. Un taux qui nous rapproche plus, soit dit en passant, du modèle communiste que d’une économie moderne. » Trois mois plus tard, en décembre, il prévient : « Si la France conti- nue à s’endetter pour boucher tous les trous, y compris celui de la Sécurité sociale, un jour nous n’aurons plus que nos larmes pour pleurer la faillite de celle-ci. » Le 3 mars 2017, il observe, effondré, que « la France » est « plombée par une dette qui culmine à 2 190 milliards d’euros » et par le « niveau affolant des dépenses publiques (57 %) ».

Le 24 mars de la même année, il s’offusque, quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, de ce que « plus de la moitié des Français soient favorables à des candidats prônant une politique économique absurde consistant à poursuivre en l’aggravant celle qui a échoué depuis plus de trente ans : l’augmentation des déficits et de l’endettement ». Puis il pointe, le 13 juillet, l’écrasante responsabilité – parmi d’autres –, dans le creusement de ce débit, des « syndicats » qui « se gavent, toute honte bue, de subventions publiques », et « vivent » par conséquent « sur la bête, donc le contribuable ».

Et ce sont là, véritablement, des paroles d’expert. Car pendant quarante longues années, Franz-Olivier Giesbert a fait carrière, au Nouvel Observateur, où il est entré au tout début des années 1970, puis – souplesse d’échine – au Figaro, où il a été embauché en 1988, puis enfin au Point, qu’il a rejoint en l’an 2000, dans des publications que l’État nantit annuellement de très conséquents subsides. Le Point a ainsi reçu, au titre des aides publiques à la presse, pour les seules années 2012 à 2014, lorsque FOG le dirigeait, près de 13 millions d’euros. (Au terme de cette même période, cet hebdomadaire, dont le directeur distribuait donc si libéralement des leçons de main- tien économique, accusait cependant une perte de 12 millions d’euros – comme s’il n’avait pas su faire assez maigre.)

D’autre part : Giesbert a longtemps émargé chez France Télévisions, dont le financement est assuré par la redevance audiovisuelle mais qui n’a jamais divulgué le montant de ses multiples émoluments. Il profite donc, depuis de longues décennies, de mannes étatiques. Mais toujours il oublie de mentionner ce signe distinctif, lorsqu’il rédige ses si véhéments appels à réduire les dépenses publiques…

« Selon que l’on est puissant ou pauvre »

En 2017, deux années après qu’il a – n’écoutant que son courage – rédigé pour Le Point un article à la gloire d’un certain Bernard Tapie, Franz-Olivier Giesbert se voit confier la direction éditoriale du quotidien La Provence par son nouveau propriétaire : un certain Tapie, Bernard. Le monde est petit, et les bienfaits n’y sont jamais complètement perdus.

FOG, qui garde aussi une pige d’éditorialiste au Point, intègre ses nouvelles fonctions au mois de juin. Il rédige, presque aussitôt, un édito rageur : « Pour en finir avec la présomption de culpabilité ». Motif : deux journalistes de La Provence ont révélé, quelques jours plus tôt, que la police judiciaire a entendu, à la demande du Parquet national financier (PNF) et dans le cadre d’une enquête sur les conditions de passation, en 2013, du gigantesque marché public, d’un mon- tant de 2,2 milliards d’euros, de l’eau de Marseille, Jean-Claude Gaudin, maire de la ville, et Martine Vassal, présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône.

L’éditocrate, décidément spécialisé dans le secours aux élus nécessiteux, s’interroge : « Qu’est venu faire le PNF à Marseille ? Cherche-t-il la vérité ou veut-il distiller le soupçon, quitte à abîmer des réputations ? A-t-il des objectifs politiques ? […] Y a-t-il une seule justice en France, ou n’y a-t-il pas huit ou neuf justices, au gré des saisons, à la tête du client, selon que l’on est puissant, pauvre, de gauche, de droite, Parisien ou Provençal ? » Il trouve, quant à lui, « pour le moins bizarre que Jean- Claude Gaudin ait été longuement entendu », et considère que l’hypothèse d’une indélicatesse de Martine Vassal « n’est pas crédible ».

Il conclut, manifestement plus sensible à la pulsion antimarseillaise qu’il attribue sans sourciller à des magistrats qui n’en peuvent mais qu’aux haines antimusulmanes qui s’expriment dans l’époque : « Nous sommes là dans un mauvais feuilleton. Ou bien le Parquet national financier a des reproches précis à faire aux élus, et en ce cas, il faut qu’il le dise vite. Ou bien il n’a que des carabistouilles dans sa gibecière et, alors, il doit rétablir sans tarder l’honneur et la probité de personnalités qui ont peut-être à ses yeux, entre autres défauts, celui d’être Marseillais. […] Sinon, on finira par croire que, dans notre cher et vieux pays, la présomption d’innocence a été définitivement remplacée par la présomption de culpabilité. »

Mauvais joueurs, des journalistes de La Provence se fendent, lorsqu’ils prennent connaissance, le 26 juin 2017, de cette ahurissante plaidoirie, de ce communiqué lapidaire : « Ce jour, Franz-Olivier Giesbert, dans son éditorial remet en cause le bien-fondé d’une enquête de justice visant l’attribution du marché de l’eau au sein de l’ex-communauté urbaine MPM, au motif que des “réputations” d’élus locaux pourraient être “abîmées”. Cet avis, qui est le sien, ne saurait engager le positionnement éditorial de l’ensemble de la rédaction de La Provence. Comme l’exige l’éthique de la profession, nous continuerons à informer les lecteurs en toute indépendance. »

Des « jobastres », probablement.

p.-s.

Le livre de Sébastien Fontenelle, Mona Chollet, Olivier Cyran, Laurence De Cock, Les éditocrates 2. Le cauchemar continue, est paru le 5 avril 2018 aux éditions La découverte.

notes

[1] Libération, 24 février 2007.

[2] Le Point, 28 février 2015.

[3] Le Point, 2 décembre 2016

[4] Ce beau geste n’a d’ailleurs pas tari sa générosité, puisqu’il a ensuite consenti au même Fillon, en 2013, un prêt – sans intérêts – de 50 000 euros, dont le remboursement, curieusement, n’est intervenu qu’après les premières révélations du Canard enchaîné.

[5] Le Monde, 9 juillet 2015.

[6] Le Monde, 4 février 2017.

[7] La Revue des deux mondes, 15 juin 2017.


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