Le discours anti musulmans d’aujourd’hui repose sur des fantasmes déconnectés du réel. A y regarder de plus près, il est structuré et fonctionne exactement comme les théories antisémites d’avant-guerre.
Mais la violence des attentats que nous avons subis nous aveugle. Là encore, c’est oublier que Daech n’a pas décidé un beau matin de nous punir de nos mœurs et de nous imposer les siennes, mais de répondre à l’intervention militaire des occidentaux dans un conflit dont l’Etat Islamique estime – à tort ou à raison – qu’ils n’ont pas à se mêler. Au 21ème siècle, il n’est pas forcément besoin de divisions blindées ni de porte-avion pour porter des coups à un adversaire situé à des milliers de kilomètres. Internet fait très bien l’affaire et permet facilement de mobiliser une poignée d’individus. Jacques Julliard peut ironiser sur le « pas d’amalgame » ou sur l’excuse psychiatrique. Les réseaux terroristes qui nous ont frappés sont effectivement constitués d’individus isolés. Certains avaient effectivement de lourds antécédents psychiatriques. Quant aux autres, issus de la petite délinquance ou de la grande criminalité, l’islam apparait plus comme la justification facile de leurs pulsions violentes préexistantes (la radicalité qui s’islamise selon Olivier Roy) que comme la dérive d’une piété fondamentaliste vers le fanatisme et le crime (l’islam qui se radicalise selon Gilles Keppel). En tout état de cause, rien ne permet d’affirmer qu’une population prise dans son ensemble (les précautions de langage qui prétendent ne viser que « certains musulmans » ne trompent personne), serait complice à quelque titre que ce soit des terroristes ou de Daech du seul fait qu’elle lit le Coran, mange hallal, et porte sur la voie publique ou sur la plage une tenue vestimentaire dont chacun est libre par ailleurs d’estimer et de dire qu’elle est peut-être la manifestation d’une pudeur excessive ou d’une tradition archaïque. Il en faut plus pour contrevenir à l’ordre public. Oser affirmer que cette population représenterait un danger sur notre territoire, c’est effectivement revenir aux années 30.
Rappelez-vous. Les antisémites d’avant-guerre ne procédaient pas autrement. La méthode était la même : construire un raisonnement délirant en s’appuyant sur des miettes de réalité. Il était facile de dénoncer le péril judéo-bolchevique. Un ordre totalitaire imposait la terreur en Russie et en Ukraine, passée sous le giron soviétique au prix d’une sanglante guerre civile. Ça ne vous fait pas penser à Daech ? Il y avait effectivement des juifs dans les rangs bolcheviques. En France, en Allemagne, nombre d’intellectuels, dont certains étaient juifs, cédaient aux sirènes du marxisme, du stalinisme ou du trotskisme qui devaient, pensaient-ils, illuminer le monde. On appelait ça le péril rouge. Le public tremblait. Des années plus tard, certains partirent sur le front de l’Est pour délivrer l’Europe du bolchevisme. Par ailleurs, il y avait effectivement des juifs dans la finance, dans l’édition, la presse et le cinéma. Y étaient-ils majoritaires ? Peu importe. En 1940, des intellectuels de premier plan justifièrent le statut des juifs en expliquant que la France avait le droit de se défendre contre des gens venus d’ailleurs et pratiquant une religion étrange, qui avaient acquis un contrôle excessif sur la vie d’un vieux pays chrétien et dont il était permis de craindre qu’ils ne finissent un jour par prendre le pouvoir.
Il n’est pas dans mon propos d’envisager que les musulmans, demain ou après-demain, puissent être victimes de persécutions analogues à celles que les juifs ont connues pendant la guerre. Mais quand des thèses à ce point déconnectées du réel tendent à devenir le discours dominant dans les médias et que l’on déclare, à la tête de l’Etat, vouloir légiférer, il y a tout de même de quoi être inquiet.